mardi 17 février 2009

Retour de terrain

Rentrer du terrain comme disent les ethnologues est une étrange aventure.
C’est à ce moment souvent que se révèle la posture acquise et maintenue sur le terrain, cet état d’extrême vigilance dans lequel on s’est installé des mois durant au milieu de la société visitée afin d’observer au maximum ce qui se passe, comment des êtres étrangers à notre culture se comportent, leurs gestes, leurs attitudes leurs relations , etc. ne serait-ce que pour éviter trop de faux pas et de malentendus. Je me souviens d’un retour d’un long voyage en Amazonie puis chez les Sioux dans les années 1980. J’atterrissais à Bruxelles qui cette année là était la capitale européenne de la culture. J’y retrouvais des amis français qui, dans ce cadre, montaient un spectacle sur la Grèce. A peine débarqué de l’avion j'étais invité à assister à un filage dans un théâtre. Je pris place dans un des balcons et regardais. Par rapport au contexte du spectacle, des jeux me parurent très étranges : une femme qui ôtait ses chaussures, un comédien qui s’agenouillait, un autre qui passait sa main dans les cheveux et peut être une ou deux autres choses anachroniques…Ils me demandèrent ce que j’en pensais . Je leurs fis amicalement ces quelques remarques . Ils en furent assez stupéfaits : en effet chacun de ces gestes et de ces « trucs » étaient des repères pour les techniciens afin qu’ils envoient une poursuite, qu’ils changent les lumières ou pour que les musiciens se mettent à jouer. Mon regard avait ainsi débusqué quelques invraisemblances qu’en d’autres temps je n’aurais sûrement pas remarquées. Idem pour le « retour » dans notre réalité quotidienne : ce questionnement sur les autorisations symboliques : feux rouges ou verts, conduite à droite, passages piétons, barrières, façons de manger, de s’asseoir, postures d’attente, etc. , tout ce qui régit notre quotidien doit être (très rapidement ) réappris , tout comme la gestuelle (ou son absence) dans les discours oraux.
Le retour a en effet quelque chose d’un réapprentissage et peut être aussi d’une renaissance avec un petit goût de mort. S’en retourner ce n’est pas revenir en sens contraire, mais bien plutôt se retrouver chez soi sens dessus dessous par le passage effectué en un ailleurs plus ou moins proche, sans doute est-ce pour cela que le retour confine à l’émotion, alors que le départ est plus du côté de l’excitation. Revenir à son point de départ est à la fois désiré et décevant. De loin, on s’est imaginé son lieu comme sans histoire, comme un espace qui n’aurait pas bougé ou plutôt qui ne devrait pas bouger. Or le temps des retrouvailles en sa maison-souvenir déçoit toujours un peu. Etre de retour c’est aussi s’interroger sur ce que l’on croit être devenu pendant son absence . Dans le même temps s’en retourner c’est aussi se rapprocher de soi, de sa culture, de ses proches ; c’est remettre de la proximité réfléchie , retravaillée, là ou on la croyait acquise pour toujours. Il y a une idée de chemin parcouru dans le retour et pour le missionné que nous sommes comme chercheur , quelque chose qui s’apparente à un retour à l’envoyeur. On sait que l’après va commencer ici alors que là bas , quelque que soit le temps où on y est resté on était dans de l’avant , de l’avant retour. Le terrain qui nous est si cher ne sera jamais qu’une parenthèse entre le parti et le revenu.
Etre de retour, c’est bien se retrouver chez soi , se soumettre, sans plus rechigner, à la douce tyrannie domestique, être enfin là où l’on doit normalement se trouver, laisser tomber la vigilance des jours ailleurs.

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