mardi 29 avril 2008

Une histoire de poils

Pourquoi les poils ? Parce que « les poils parlent une langue à qui sait entendre et racontent les dispositions morales et psychiques de chacun pour qui sait observer »,assurait un ouvrage de la Bibliothèque des dames de 1764. Souvenons nous de nos ancêtres les gaulois à moustaches et longues chevelures, des romains subissant l’incorporation par la tonsure, des Nazis au crâne rasé, des Beatles et nous derrière suivant depuis toujours quelques sirènes aux longues tresses... Effectivement les amas pileux du corps humain sont des indices optiques essentiels dans notre relation à l’autre, la tête, notre tête ce dispositif de communication et de relation qui porte notre champ facial que l’on présente tel quel : nu ou presque à qui veut le voir est en règle générale encore assez poilu : cheveux sur le dessus contre pluie, froid et chaleur, sourcils contre la transpiration frontale, cils contre la poussière, poils du nez, des oreilles contre les substances étrangères, oui nous sommes encore fameusement équipés en poils.
Il est vrai que nous cachons notre pubis et nos aisselles et si nous les montrons, nous les rasons ; ces endroits naturellement moins exposés à l’air jouent pourtant un rôle non négligeable avec leurs glandes apocrines, certes responsables de la sueur grasse, mais qui jouent un rôle anti-déshydratation éminent et sont indispensables au maintien de la température du corps. Bref , depuis que nous avons quitté l’univers arboricole où nous étions grand singes poilus pour la savane et la station debout, nous nous sommes bien dégarnis mais il n’empêche que les poils restent aux yeux des biologistes un réservoir de secours inégalé pour l’épiderme et notre respiration. Les lectures de nos âges sociaux, à savoir la nubilité, se font aussi à partir de notre pilosité basse. C’est avec l’apparition des poils que l’on sait si nous sommes aptes à contracter mariage (théoriquement) fécondable : cela intervenait sous nos latitudes vers 15 ans chez les filles et 16 ans chez les garçons, chiffres établis dans les années 1890. Sachez qu’aujourd’hu, la tendance générale va vers un abaissement général de l’âge de puberté : la pilosité apparaît en Angleterre vers 12 ou 14 ans chez les filles et 13 ou 14 ans pour les garçons. Avec cela nous savons que les français ont un poil grandi : plus 2,5 cm pour les femmes, 5,5 cm pour les hommes, et forci : respectivement de +2,4 kg et +5,4 kg . Nos sœurs, toujours en France, feraient en moyenne 97 cm de tour de poitrine avec une assurance statistique( ?) que les poitrines seraient plus opulentes dans le nord et plus menues à l’ouest. Quant à nous, les « métrosexuels » à la barbe éternellement naissante, les nouvelles ne sont pas bonnes : nos vêtements moulants sont aussi chauffants et frottants et cela nous emmèneraient vers une perte rapide, non pas tant de la virilité que de la fécondité et de nos poils.

(voir l’ouvrage poilant deMartin Monestier, « Les poils, histoires et bizarreries, Paris, ed. Le cherche midi, 2002)
Photo : Barbara Urstein à 27 ans, vers 1654.

mercredi 16 avril 2008

A propos des vêtements incarnés (ou des tatouages)

Le 1er juillet 2007 s’est tenu au Parc floral de Vincennes le « Premier salon du tatouage et des arts associés » où se sont rassemblés des centaines d’artistes et de modèles itinérants qui prennent le corps comme support à leur art. Dans n’importe quelle revue « people » d’aujourd’hui apparaissent des vedettes, plutôt des jeunes hommes et des jeunes femmes, tatoués pour la vie : qui une petite fleur à la base du cou, qui un papillon sur une cheville ou un motif Maori épuré sur les biceps, quand ce n’est pas une fresque immense recouvrant tout le corps d’un de ces nouveaux héros du monde moderne que sont nos sportifs, nos comédiens et nos chanteurs.

On ne change pourtant pas de peau comme de chemise et être tatoué, comme tatouer, ce n’est pas, a priori, chose « normale » pour les mammifères non spécialisés que nous sommes. Outre le désir dans nos sociétés occidentales contemporaines d’enfiler une nouvelle peau, le tatouage implique qu’il y ait quelque part un modeleur, ou plusieurs, qui prennent les mesures de la personne, qui, elle-même, se prépare à enfiler ce tissu douloureusement relié à travers sa peau à toute la société qui l’entoure (même si elle ne le sait plus consciemment). Cet habillage incarné, indéniable accessoire contemporain de la mise en scène de soi, art véhiculaire de son groupe ou de sa société se fait rarement seul ni uniquement pour soi .
Regarder « la peau de l’homme », surtout décorée, c’est regarder notre peau que nous n’avons de cesse de sauver et d’embellir. C’est donc à travers des travaux d’ethnographes qu’il faut aller chercher les descriptions par le menu de ces écritures sanglantes qui, de la fraîche peau où elles furent tracées, se retrouvent aujourd’hui parcheminées et présentées dans nos musées, par petits ou grands morceaux ou, moins douloureusement, à travers des dessins et des photographies. En faisant appel aux descriptifs passés et présents, ce qui importe est surtout de revenir sur le regard que nous portons sur ces œuvres ; œuvres qui ne sont plus ou pas des objets de matière minérale ou végétale mais bien des objets humains directement empruntés au corps de l’homme.



Il ne fait aucun doute que les tatouages sont ou bien deviennent des rites intégrateurs en même temps que des amulettes permanentes au pouvoir magique évident pour tous ceux qui les portent. Le tatouage d’immunisation qui, dans certaines « professions » ( pirates , voleurs, etc), est de grande vantardise obtient sa grande puissance par la peau de l’homme qui le porte, la souffrance qu’il a subi et l’art de l’exécutant, bref toutes conditions réunies pour atteindre à une perfection surnaturelle, sans oublier évidemment ceux qui le lisent en en connaissant les codes et qui doivent être pris d’effroi devant une telle arme.



On sait par l’histoire et l’anthropologie que ces amulettes permanentes connurent dans la plupart des sociétés où elles ont été décrites une régression, voire une disparition. Ceci est dû à la fois à l’emprunt et à l’influence des autres styles de tatouage ainsi qu’à leur emprunt par d’autres sociétés comme la nôtre, c'est-à-dire à une dévaluation. On sait également que la régression d’une coutume dans un groupe social est souvent contrebalancée par l’acquisition de nouveaux signes empruntés aux sociétés voisines ; emprunts liés autant à une recherche d’actualisation qu’à une enculturation involontaire, qui conduit à très brève échéance à une acculturation et à long terme à un ethnocide. Dans les sociétés décrites types océaniennes, asiatiques ou amazoniennes, à l’archaïsme des tatouages anciens ont souvent fait place des tatouages plus modernes.
Du point de vue anthropologique c’est beaucoup moins une inconsciente remise en honneur possible d’une pratique oubliée que l’emprunt conscient d’une coutume, souvent inconnue ou mal connue des générations qui l’adoptent et qui revêt d’autant plus d’importance que son développement coïncide avec la nette régression d’autres systèmes de transformation ou de mutilation corporelles (agrandissement du lobule de l’oreille, mutilation dentaire), toutes ces coquetteries qui sont tombées en désuétude parce qu’elles ne correspondaient plus à aucun idéal magique ou social vivant.



On aurait pu dire, il y a encore une trentaine d’années, que la mentalité populaire associe le prestige viril et le courage déployé en présence du tatoueur, et que le tatouage est inséparable de la majesté masculine. Mais cette idée de « dignité virile » n’a plus cours aujourd’hui que pour quelques mâles marginalisés ou en cours de l’être… Se faire tatouer n’est plus réservé, en effet, aux seuls hommes, les femmes s’y prêtant tout autant et peut-être même plus.
Curieuse histoire en vérité que celle des tatouages passés du « sauvage naturel » au jeune « civilisé urbain » contemporain ; tatouage dont on ne sait plus très bien s’ils est décalcomanie estival et branché, intention amoureuse définitive ou œuvre d’art indélébile qu’on cache ou fait réapparaître au gré des modes et des usages.
Tatouage et piercing sont sortis de la marginalité occidentale pour devenir des accessoires da la mise en scène de soi. On voit refleurir des artistes itinérants qui prennent le corps comme support et des corps se faire l’expression cachée-montrée d’un art véhiculaire, venant confirmer ce que les anthropologues ont constaté depuis les années 1970, que ce qui caractérise le monde moderne est son apparente et ostentatoire archaïsation. Le corps est chez nous devenu il y a quelque temps prothèse d’un moi en quête d’une incarnation pour sursignifier sa présence au monde, pour qu’on essaye à nouveau d’adhérer à soi. La question reste et restera de savoir ce qui nous fait courir après ce décor-homme ?

mardi 8 avril 2008

L'amour chante à travers quinze siècles

La littérature arabe érotique s’est voulue instructive et l’occident chrétien, au contact étroit de cette culture dès les Croisades, n’a pas manqué de s’en inspirer. Traités, contes et commentaires où les figures érotiques ont été revêtues du plus bel apparat et du plus grand luxe de détails ont forgé une esthétique qui n’a pas laissé dans l’indifférence les hommes et les femmes qui y ont découvert de nouvelles « techniques amoureuses » propres à améliorer leurs performances. Tout le monde sait que la jouissance du croyant sur Terre n’est que l’avant-goût de ce qui l’attend au Paradis d’Allah où la Jannah est avant tout un jardin des délices de la jouissance : amours, coït à profusion, dépucelages sans conséquences des Houris et bonne chair, l’Eden céleste est un enchantement absolu promis à tout croyant en un monde parfait, achevé, impeccable et inimitable…Voila pourquoi assure Bassam Saad « le coït est ainsi érigé en devoir, auquel appelle la foi et que le musulman croyant doit parfaire sa foi en le Nikah ». « Celui qui choisit la chasteté n’est pas des miens », a dit le Prophète qui avoue ailleurs : « Plus que tout, j’ai aimé, de votre monde, les femmes et les parfums… ». Nous dirons qu’une culture où la chasteté est considérée comme inutile et pernicieuse ne peut manquer d’humanité et, comme le disait une notoriété religieuse de premier plan, que dans cette histoire « …la femme est imparable ». Passons sur la vigueur inimitable, mais recommandable, du Prophète, sur sa stupéfaction devant la femme et sa beauté surtout si elle est vierge, sur toutes ses femmes, sur l’instauration de la polygamie, sa limitation à quatre, les jalousies et leurs antidotes pour en arriver au « Nikah » stricto sensu. Voila qu’il y a un « devoir de jouir », une recommandation aux frissons et aux spasmes comme sublimation même de l’être musulman. Tant pis si, dés que l’homme jette son regard sur une femme, il entre sous la voûte du pendable, le regard obstrué de cette dernière par un voile est là sinon pour prévenir, au mieux pour régler les émotions. Il y a d’ailleurs ce magnifique passage de l’allaitement d’un adulte qui transforme l’homme concupiscent qui, « pris au sein » sans le savoir, subit un rite d’adoption et se retrouve du coup considéré pour toujours par cette femme « comme l’un de ses enfants » et ainsi asexué. Voila pour la tétée, mais le sexe et ses appétences réciproques ne quittent pas la tête des humains et l’auteur de Al-Agnani , le fameux médecin Dananir, ne se prive pas de rappeler que sur l’éventail que Hamdouna agitait devant son visage était écrit : « L’appétence d’un vagin pour deux verges est plus urgent que celle d’une verge pour deux vagins…comme le besoin d’une meule pour deux mules… » Bref, avant l’entrée au paradis , la vie sur terre offre à toutes de réaliser copieusement le « sarclage de la branche » et à tous de connaître les délices de multiples promenades intimement baguées…Ainsi va l’érotisme dont Bassam Saad nous redit avec intelligence et brio qu’il est la seule foi terrienne inébranlable qui transcende religions et morales. (voir : Bassam A. Saad, « Copuler est ma loi, un érotisme arabe islamique », éditions de l’Aube, 2007, 558 pages)

mardi 1 avril 2008

Tout humain et toute humaine ont droit à la jouissance

Un homme de ma connaissance appartenant à une autre culture que la mienne a réuni une impressionnante collection de récits, d’anecdotes et de citations tirées de textes classiques des premiers siècles de l’Hégire (VIIe-XIIIe siècles), ainsi que de quelques dits et sentences tirés du Coran pour m’assurer que si le plaisir était considéré comme un devoir pour l’homme, il y a longtemps qu’il était un droit (bien caché mais ô combien utilisé !)) pour la femme. Partant du fameux « Nikah », fondateur et oh combien légal dans l’Islam – que certains exégètes traduisent comme étant l’expression d’un contrat de mariage et de copulation à durée indéterminée entre un homme et une ou plusieurs femmes - nous nous retrouvons très vite dans une histoire où les libertés amoureuses et sexuelles se sont toujours frayées un chemin au milieu des interdits et des tabous énoncés, selon les époques, avec plus ou moins de force.

Le Messager, m’a-t-on assuré, s’appuyant sur la grande connaissance qu’il avait des affaires féminines, aurait dit : « J’ai conféré à la femme, en plus qu’à l’homme, quatre-vingt-dix portions de plaisir, mais Allah l’a drapée de pudeur. »
En fait de pudeur, la mise en perspective de la sexualité s’inscrit comme une histoire d’héritage où, aux coutumes ancestrales, s’ajoutent de nouveaux principes auxquels la femme parfois se soumet, parfois se rebelle. Depuis longtemps dans l’ensemble du monde méditerranéen comme dans bien d’autres cultures dans le monde, il est connu que la femme « tient la maison » (et son homme), c'est-à-dire qu’elle gère l’intime et l’intimité, aussi les ruses inventées pour contourner les interdits et sublimer la sexualité du couple ne manquent pas, sachant que la recherche de la jouissance, quoi qu’on dise, est capable de faire de la sexualité un art aussi élevé que les plus belles architectures.

Bassam A. Saad dans Copuler est ma loi, sans faire les louanges du « Nikah » mais en y croyant comme une vertu nécessaire à toute vie dite humaine, nous emmène à sa suite hautement érudite, non pas sur les traces de « la ballade des débauchés », mais sur les sentiers de l’arsenal incontournable de la séduction qui rendent si beaux les amoureux. Al-Hobb disent les poètes, les doctes et les écrivains, « science » disent les Allamah, les savants, en d’autres termes « l’amour » vient coiffer toutes les tendances humaines où en un rapprochement entre deux entités sont impliqués, ceci aussi bien à travers les états d’âme de la passion que dans leur traduction physique, les désirs ardents du corps.

Les mots sont beaux et innombrables qui enguirlandent désirs et assouvissements : ‘Ishq', désir, 'Wala’h', obsession, 'Gholmah', volupté, 'Ach-Chawah', désir intégral, 'As-Sababah', désir aigu, 'Bah', 'Bad’h', 'Nikah' , coït intégral… Vocabulaire et figures sur lesquels nous reviendrons prochainement avec plus de détail.

A suivre...


(voir : Bassam A. Saad, « Copuler est ma loi, un érotisme arabe islamique », éditions de l’Aube, 2007, 558 pages)