samedi 12 janvier 2008

Une ethnologie de la banalité

Ce qui m’intéresse en premier lieu est ma propre société. Si le retour de chez les Hopi à Chichery s’est fait accidentellement, les séjours en Amérique du Nord et du Sud, chez les Sioux puis chez les Yukuna en Amazonie colombienne, mon passage chez les Sames en Laponie et plus tardivement chez les mythiques Caduveo, Bororo et Nambikwara du Mato Grosso, au Brésil, sans oublier les Italiens, les Allemands et les Russes que je fréquente régulièrement, n’ont pas entamé mon choix éthique de n’écrire jamais que sur nous-mêmes. Ce passage par l’autre obligé, ce désapprentissage périodique dont j’ai fait une de mes postures de chercheur, me permet de réactiver cette distance nécessaire pour mieux nous apercevoir dans notre apparente banalité, c'est-à-dire nous regarder vivre. André Georges Haudricourt, avec qui j‘ai travaillé de longues années (Les pieds sur terre, Métailié, 1987), me disait toujours : « N’importe quel objet, si vous l’étudiez correctement, toute la société vient avec ». J’en ai fait un principe. Ce que je cherche à montrer est que la banalité n’est jamais banale et que le travail de l’anthropologue, c’est, derrière ce regard horizontal qui nous rattache à l’autre, de travailler à exhumer le regard vertical, c'est-à-dire la dimension totale, anthropologique, de notre histoire et de réussir à mettre en exergue la complexité des actes de notre quotidien. Tous nos habitus sont inscrits dans une dimension anthropologique ordinaire. Moi, je travaille sur l’imaginaire de l’homme : pourquoi met-on des chaussures, pourquoi les Indiens de Californie vivaient-ils nus et mettaient-ils des guêtres ?… C’est simple et complexe à la fois. Ce qui m’intéresse, ce sont les truismes, tout ce qui nous semble évident – le fameux sens commun – et qui bien sûr ne l’est pas ; c’est essayer de faire apparaître et de montrer comment notre univers individuel, culturel s’est mis en place à la suite d’imitations ratées, de glissements et d’adoptions techniques déterminantes dans notre histoire. Que ce soit l’« ethnologie de la chambre à coucher », « La tribu sacrée », « L’ethnologie de nos prêtres », « La passion du regard » sur la construction de notre regard occidental ou mes ouvrages sur Chichery, « Le village retrouvé » et « Le village métamorphosé », écrits à vingt-sept ans d’intervalle, je ne me livre jamais qu’à des mises en perspective anthropologiques de notre quotidien et de son apparente banalité.

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